PLFSS 2022

Discussion générale - séance du 21 octobre 2021

« Prends soin de toi ! » C’est une expression en vogue, une marque d’attention et d’affection qui a conclu bien des rencontres et bien des échanges depuis deux ans. Mais le soin n’est pas qu’une affaire individuelle, où il suffirait de renvoyer chacune et chacun à sa propre responsabilité. Le soin est un choix politique. Nul ne peut se passer du soin. Le soin, dès la naissance nous est vital.

« Le soin, écrit la psychanalyste Marie-José Del Volgo est l’affaire de tous, il appartient à notre culture démocratique, celle du vivre ensemble, des solidarités, de l’attention portée aux plus vulnérables d’entre nous ». Le soin, c’est aussi tout ce qui vient avant, toute l’attention, le respect, le bon environnement créant les meilleures conditions pour le bien-être physique, mental et social. Mais à défaut d’être au cœur de la vie sociale, le soin est-il vraiment au cœur de notre système de santé ? Notre système est organisé pour produire des actes, non pour prodiguer des soins. C’est la production d’actes que l’on valorise et que l’on recherche. Le soin, difficilement quantifiable, en vient trop souvent à passer en arrière-plan et cela contribue grandement à la perte de sens que ressentent les professionnels de santé et d’accompagnement. 

A l’occasion de l’inauguration du cinéma associatif municipal, dans ma ville de Martigues, j’ai pu voir en avant-première le film La fracture, de Catherine Corsini, qui sortira en salle dans quelques jours. On y passe une heure et demie aux urgences, dans une situation de tension, qui, par-delà les ressorts de la comédie dramatique, fait toucher du doigt cette réalité. On y découvre Kim, une infirmière mobilisée pour sa sixième nuit de garde, laissant de côté ses propres problèmes pour courir d’un patient à l’autre, essuyer leur colère, prendre le temps de quelques gestes d’attention au milieu d’un grand tourbillon. L’histoire ne dit pas ce qu’elle en fera, mais il y a des chances que ce soit sa dernière nuit aux urgences, parce qu’elle ne s’est pas engagée pour ça, et que l’héroïsme n’est pas un métier qu’on peut accepter d’exercer tous les jours. 

Entendez-vous les récits de ces infirmières, de ces aides-soignants, de ces auxiliaires de vie sociales qui racontent l’obsession du minutage des gestes à accomplir, de la codification des actes, de la protocolisation de la prise en charge patient, de l’évaluation de l’efficience, laissant si peu de place à la relation humaine, sans laquelle le soin s’évanouit ? « Parler du soin invisible, refoulé, et de ceux qui le pratiquent, c’est faire entendre ce que la société perd de ne pas les reconnaître à leur juste valeur », écrit encore Marie-José Del Volgo. Comment ne pas s’interroger sur le monde du soin tel qu’il résulte de l’injonction technique et du traçage numérique, avec la dépersonnalisation qui gagne du terrain à mesure que le personnel fait défaut et que son temps est compté et décompté ?

Vous avez demandé plus de 4 milliards d’euros d’économies à l’hôpital depuis 2017. Après l’avoir nié, vous l’avouez, d’ailleurs, en nous disant que c’est la première année sans économies. Mais ce n’est pas parce qu’en cette année électorale vous relâchez un peu la pression que vous aurez réparé les dégâts. L’hôpital est en crise. En crise profonde. Et la pandémie est venue encore élargir les brèches, pomper les énergies, éreinter les équipes. Vous avez ajouté à cela une forme de maltraitance à l’égard des personnels qui se sont vus envoyés au charbon sans moyens aux moments critiques et se sont vus dans la dernière période pointés du doigt pour la vaccination, contrôlés jusque dans leurs arrêts maladie et pour certains suspendus, laissant entendre qu’on pouvait finalement très bien se passer de leur travail sans dommages. Pour avoir visité un certain nombre d’hôpitaux du pays ces derniers temps, je peux vous dire que cela a constitué un motif de colère supplémentaire quels que soient les avis sur la vaccination. Il me souvient que l’an dernier, déjà, vous aviez vanté les efforts inédits, amalgamant les surcoûts de la gestion pandémique et les mesures du Ségur, tandis que la tendance à la compression demeurait la règle. Vous nous direz encore cette année, combien tout cela est historique. La vérité, c’est que vous n’avez pas le choix, parce que nous avons dépassé le point de rupture, parce que la colère est présente au quotidien. Et il faudrait bien plus que cela pour donner à l’hôpital un nouvel élan. Au stade où nous en sommes, il ne s’agit pas de sauver les apparences, il faut redonner envie de l’hôpital, redonner envie au personnel, et au personnel en puissance, aux jeunes qui sont attirés par ces métiers. Cela commence par l’arrêt des fermetures de lits, de services, quand ce n’est pas d’hôpitaux… Encore 5700 lits fermés en 2020, ce qui portera le total de la majorité à 13 300 depuis 2017. Et cela s’ajoute à la dégradation de l’offre territoriale à travers les hôpitaux de proximité. Il faut arrêter ça. Il faut engager la formation et le recrutement de centaines de milliers de personnes pour les métiers du soin et de l’accompagnement ; il faut ouvrir des places massivement à l’université. L’abandon du numérus clausus, s’il est remplacé par la gestion épicière de parcoursup ne règle pas les problèmes et en guise de numerus apertus, nous avons un numerus pertus. 

Je veux porter une attention particulière au secteur de la psychiatrie et de la pdéopsychiatrie, particulièrement sinistrés, alors même que l’état psychiatrique du pays est aggravé par la crise sanitaire et que là encore, il y a besoin de soin, ce dont les professionnels en désarroi disent être empêchés au quotidien. La protocolisation outrancière, à rebours de la nécessaire personnalisation du soin, étayée par un recours simpliste et mécaniste aux neurosciences, et sous la pression d’approches sécuritaires, n’arrange rien à l’affaire. Quel est le plan pour la psychiatrie ?

Vous avez choisi, avec un retard à l’allumage singulièrement long d’étendre les mesures du Ségur à une partie des oubliés, notamment dans le médico-social. Ici-même, à plusieurs reprises, je vous avais interpellé en vous disant que ce n’était pas tenable, qu’il fallait y venir et que vous y viendriez. Là encore, ces choix ont blessé et parfois provoqué des départs préjudiciables. Mais il y a encore des oubliés, par exemple lorsque les établissements ne sont pas financés par la Sécurité sociale mais par les départements, ou encore si l’on regarde du côté des psychologues, orthophonistes, psychomotricien, éducateur, personnel de Centres médico psycho-pédagogiques. Et j’ajoute que ces mesures ne rattrapent pas tout ce qui a été perdu et ne font pas le compte. C’est ce que vous disent particulièrement les sage-femmes. Elles sont irremplaçables, d’ailleurs elles sont réquisitionnées à tour de bras. Elles sont mobilisées et demandent l’ouverture immédiate de négociations. Et nous avec elles. 

Vous n’en finissez pas d’être rattrapés par le réel. Et on s’y cogne, comme disait, paraît-il, Lacan. Vous n’en tirez pas les leçons.

En effet, les recettes de la branche maladie restent inférieures à leur niveau de 2018, alors qu’elle fait face à une explosion de ses dépenses. Il manque 21 Mds € pour couvrir les dépenses de santé, soit l’équivalent de l’allégement de cotisations « CICE » qui consiste en une réduction de cotisations patronales d’assurance maladie. Vous vous entêtez à maintenir un système d’exonérations massives qui est devenu la règle et vous refusez d’envisager des recettes nouvelles pour financer une réponse à la hauteur des besoins. 

La Sécurité sociale est confrontée à une crise de financement. Les exonérations se chiffrent à 68 milliards en 2019, un doublement en 5 ans, pour un résultat économique plus que contestable, et cependant que les inégalités de revenus s’accroissent et que les paradis fiscaux prospèrent. Mais, pas touche aux amis. Finalement, vous semblez considérer que tout ça, c’est la vie. L’argent qui coule à flots dans les paradis fiscaux, comme en témoignent les Pandora Papers, c’est dans l’ordre des choses, et les exonérations de cotisations, c’est la poire pour la soif. C’était pourtant le moment où jamais de mettre à contribution les grands propriétaires, la finance, les plus fortunés qui ne savent que faire de leur argent. Vous eussiez pu sans mal justifier un revirement pour faire face à la crise. Que nenni. Vous voulez rester dans le sens de la pente, vous voulez assumer jusqu’au bout avec Emmanuel Macron cette étiquette de Président des riches. 

Ainsi, les efforts se font toujours uniquement sur les dépenses. Et vous savez pourtant que la reprise économique ne suffira pas à couvrir le delta. Vous nous présentez ainsi un déséquilibre budgétaire qui servira sans doute à l’avenir à imposer de nouvelles coupes sombres dans la protection sociale. Vous préparez sans doute le retour du fantôme fatigué et fatigant de la réforme des retraites qui semble hanter les couloirs du pouvoir. Mais vous ne préparez pas sérieusement l’avenir.

J’en veux pour preuve l’abandon de la grande réforme de l’autonomie annoncée en 2017, puis en 2018, puis en 2019, puis en 2020, puis en 2021, puis plus rien. Les quelques mesures inscrites dans le budget sont bien loin des besoins identifiés dans le rapport Libault. La hausse de 6 % sera en grande partie absorbée par les revalorisations du Ségur. Les 10 000 personnes supplémentaires en EHPAD sont rapporter au nombre de 7500 établissements. Vous nous présentez une bande-annonce, mais on n’est pas certain que vous prévoyiez un long-métrage derrière. Ce d’autant que la branche sera financée à 90% par la CSG, c’est à dire les salariés et les retraités, les employeurs ne contribuant qu’à hauteur de 6 % via la CSA. Cela témoigne d’une fiscalisation croissante de la sécurité sociale, tandis que vous refusez nos propositions de financement. Enfin, où est le grand service public de l’autonomie dont nous avons besoin ?

Vous prévoyez quelques mesures en matière de médicament. La période nous a éclairé s’il le fallait sur le comportement des big pharma et sur la marchandisation de la santé qui se déploie dans ce secteur avec des prises de bénéfices parfois faramineuses en partie sponsorisées par la sécurité sociale. On ne peut pas en rester là. L’autorisation donnée aux hôpitaux de produire des médicaments lorsqu’ils le peuvent dans leurs pharmacies, à condition de leur en donner véritablement les moyens humains, est une bonne chose. Le pôle public du médicament que nous imaginons s’appuie sur leurs capacités. Mais il faut aller plus loin dans cette direction et nous n’en voyons pas poindre l’ambition alors même que les grands laboratoires externalisent tout en étendant leur emprise. Je cite au passage la possibilité d’un développement des médicaments biologiques innovants tels les CAR-T par des acteurs académiques avec des coûts bien plus raisonnables. Et j’ajoute encore qu’il faudrait s’engager fortement pour une autre vision des brevets. Le choix, enfin !, d’introduire dans la fixation des prix un critère de localisation de la production est une mesure de bon sens. Il faudrait là encore compléter la palette. J’espère par ailleurs que vous consentirez à taxer les shortliners qui se placent sur des segments particuliers pour opérer des marges.

Nous devons dire les interrogations qui sont les nôtres sur les décisions concernant le recours aux orthoptistes avec des concertations non abouties et le risque d’une expertise médicale à deux vitesses qui ne saurait s’installer.

Nous constatons par ailleurs la multiplication de centres dentaires ou optiques qui ont une pratique industrielle des actes médicaux, loin de toute logique de prise en charge, de soin, de suivi. D’un mot, ils font de l’abattage à des fins de profits. Madame la Présidente de la commission, vous avez vous-même constaté des actes non seulement inutiles mais mutilants pratiqués dans certains de ces centres, jouant de la vulnérabilité de certains patients et du surplomb que peut parfois conférer le savoir médical. Face à une réaction publique qui n’est pas au rendez-vous et vous avez déposé un amendement pour y subvenir. Ces pratiques découlent de la marchandisation de la santé et si la pratique collective, notamment celle des centres de santé doit être soutenue, ces logiques financières sont tout simplement à bannir. Il faut donc se donner des outils de régulation et de contrôle adaptés d’un côté et mieux encourager les véritables centres de santé d’autre part, en lien avec les municipalités, le mouvement mutualiste et le service public hospitalier.

Je voudrais enfin parler ici de la situation de nombreux services et d’hôpitaux dans le pays qui voient s’appliquer les mesures destinées à lutter contre les abus de l’intérim médical. Est-il utile de préciser que nous n’aimons pas beaucoup ce système coûteux et débouchant sur des inégalités salariales peu défendables. Mais les retours sont inquiétants car nombre de services constatent une fuite de l’intérim qui les place parfois en situation de devoir fermer les portes faute de personnel. Alors que la crise est toujours là et que ses effets sur les personnels sont prégnants, cette mesure était-elle vraiment absorbable en l’état ? Nous en avions discuté les formes et alerté sur les difficultés en résultant. Par exemple, le plafonnement fait dans le public sous peine de sanctions ne s’applique pas au privé. Par exemple, les obligations ne tiennent pas compte de l’état de tension et de carence, alors même que la santé exige une obligation de moyens. Par exemple, on ne règlemente pas l’activité en la matière des entreprises de travail temporaire. J’avais déposé trois amendements pour discuter de ce problème sérieux face auquel nous devons agir et qui rentre bien dans le cadre du PLFSS, ils ont été déclarés irrecevables. Nous devons cependant en profiter pour essayer de mesurer l’état des choses et faire face.

Nous soutiendrons les mesures positives, naturellement… En regrettant qu’il n’y en ait pas plus au regard de la gravité de la situation. Je veux citer l’extension jusqu’à 25 ans de la gratuité de la contraception, la constitution de droits à la retraite pour les indépendants pendant les périodes d’impact du Covid sur leurs activités, ou l’accès facilité à la complémentaire santé. 

Mais les relatives largesses que vous inspire la période électorale ne suffisent pas à impulser les changements d’orientation nécessaires en pas plus à rattraper les dégâts qu’a déjà produits votre politique.

Alors monsieur le ministre, puisque le projet que vous nous présentez ne le fait pas comme il le devrait, je terminerai en disant tout simplement : prenez soin de vous.

 

 

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