Hier soir, le Président de la République, institué en chef de guerre, avait mis en scène sa déclaration en Alsace où l’épidémie a planté ses griffes plus tôt qu’ailleurs. Il faut parfois savoir faire preuve de sobriété. De temps en temps. Surtout quand on annonce l’air de rien une décision contraire à tout ce qu’on a fait jusque là au mépris des signaux d’alarme et des mouvements sociaux. Un « plan massif d’investissement pour les hôpitaux » ? Voici encore une semaine je le demandais à l’Assemblée nationale et c’était la énième fois. Très bien. On en veut de ce plan, ou plutôt d’un plan. Mais ce n’est pas le fait du prince. Il a été gagné, même si l’on peut enrager qu’il ait fallu ce satané virus pour que l’exécutif s’y voie contrainte. On veut de vraies réponses et pour cela, j’invite le Président à chercher plutôt ses idées dans les revendications des personnels et accessoirement dans la proposition de loi des députés communistes qui est quand même pas malfoutue… En espérant que cette fois-ci, il ne s’agira pas une fois de plus de faire semblant, d’entourloupes et d’illusionner. Et on veut dès maintenant une action à la hauteur des immenses besoins pour répondre aux appels urgents des personnels. En reconnaissant leur travail, comme celui des pompiers, dont je veux saluer aujourd’hui encore l’engagement.
Mais au lieu de la jouer un peu humble, le Président a préféré critiquer « celles et ceux qui voudraient diviser le pays » et appeler à l’union « tous derrière, tous derrière » lui. Tout le pays veut sortir de cette crise, et il y a besoin de tout le monde pour en sortir. Et l’on permettra que des femmes et des hommes donnent leur avis, s’inquiètent, revendiquent. C’est aussi cela qui peut permettre d’apporter les bonnes réponses. Tout le pays fait de la politique en ce moment, parce que les solutions passent par là. Les citoyennes et les citoyens sont prêts à coopérer, à jouer le jeu, mais le Président se trompe en se posant en donneur d’ordres.
Depuis le début, en toute responsabilité, je parle, et parfois je critique, sans jouer, pour faire oeuvre utile et en tenant compte de la gravité du moment. Et je crois que c’est salutaire. J’ai dit déjà que la logique de guerre n’est pas la mienne. Elle sert aujourd’hui à imposer un pouvoir fort et à justifier les atteintes à la démocratie, aux libertés et aux droits sociaux. En fait, les pouvoirs de l’état d’urgence sanitaire sont une réponse cohérente avec la façon dont le pouvoir était exercé par Emmanuel Macron avant la crise et qui faisait tant problème. J’en profite pour m’inquiéter sur la mise à l’étude du traçage numérique. J’espère que cette idée sera vite rejetée dans l’ombre d’où elle a surgi. De nombreuses voix s’élèvent pour s’inquiéter des effets de ce régime d’exception qu’ont souhaité le Président, le gouvernement et la majorité. Il vaut mieux rechercher le consentement volontaire, conscient et éclairé.
D’ailleurs, si personne n’avait parlé, ni le professeur Raoult, ni des femmes et des hommes interpellés par ce médecin et chercheur, le gouvernement aurait-il pris la décision qu’il a prise sur l’utilisation de la chloroquine, qui pourra maintenant être prescrite aux malades pris en charge dans les hôpitaux ? Sans crier au miracle, il était temps. Il faut continuer à avancer les yeux ouverts, suivre les réactions et l’évolution. Et il faut s’assurer que la production soit suffisante. Ce débat appelle une réflexion approfondie sur notre rapport à la science, à la médecine, à la recherche... Nous ne sommes pas tous des experts et le rôle de ces derniers doit être d’éclairer la décision démocratique. En sachant que le propre de la science est d’observer, de connaître, de comprendre, de restituer la complexité du réel... Il y a des choses que l’on sait et beaucoup d’autres que l’on ne sait pas. Il y a du doute, du pour et du contre, des bénéfices et des risques... J’espère au passage que la période va nous permettre de tordre le cou au développement de la théorie du complot permanent, qui déforme le réel pour faire plaisir à celles et ceux qui le regardent. Ce qui appelle dans le même temps à rompre avec des pratiques politiques et des façons d’exercer le pouvoir qui servent silencieusement des intérêts plus ou moins cachés et entendent tenir les citoyennes et citoyens à distance.
Il est normal qu’existent des protocoles pour tester les médicaments et les valider avant de les utiliser, de les mettre sur le marché, de les rembourser. Ce sont des sécurités que nous nous donnons, y compris pour laisser le moins d’espace au risque et pour contrôler l’industrie pharmaceutique. En revanche, il n’est pas normal que ces expérimentations n’aient pas été produites avant, ni que les moyens de la recherche sur les virus de type corona aient été coupés (ni que la recherche soit infantilisée et dirigée). Et face à une telle urgence et à son ampleur, il fallait raisonnablement accélérer et adapter les choses. Il faudra tirer les leçons de tout cela.
Tenir la peur à sa place. Plutôt que d’y céder ou de s’en servir. La tenir en respect. Rien de dégradant à avoir peur. Nous avons chacune et chacun les nôtres. Jean-François, le libraire de l’Alinéa, que j’appelais pour prendre des nouvelles d’une librairie en temps de confinement, m’a dit s’être replongé dans un ouvrage magistral de l’historien et ami cher Michel Vovelle. Et dans une introduction à ses travaux sur « la mort et l’occident », il écrit : « De la somme des peurs individuelles aux différents visages des peurs collectives, la transition s’opère sans peine. » Et sans doute vice versa. Et de poursuivre. « Puis voici l’émergence de nouvelles maladies, inquiétant démenti au rêve d’hier d’une victoire achevée ou proche de l’être. » Et c’est peut-être ce rappel au réel qui nous perturbe et nous inquiète. D’autant plus que cette maladie ne frappe pas en périmètre restreint, loin du grand nombre, au point qu’on puisse se laisser aller à la relativiser. J’ai dit « tenir la peur à sa place », cela ne veut pas dire l’ignorer. Il faut s’en occuper. S’occuper de ses causes, prévenir ses effets.
C’est l’organisation de notre société qui est en cause. Et nous voici ramenés à l’essentiel.