Hier, j’ai publié un texte intitulé « Le jour d’après », et pour tout dire, allant au bout de mes intentions, je l’ai fait en musique. L’occasion d’une pause nocturne et de quelques allers-retours à distance avec Christian Vaquette, mon compère de toujours, pour les arrangements. C’est sans prétention. Je n’ai pas l’habitude de partager ces choses-là, mais peut-être que le moment s’y prête (à un peu plus de partage et de chaleur). La musique ou la littérature disent et touchent autrement que la parole, et elles me sont indispensables. Elles nous aident à être humain parce qu’elles peuvent adoucir ou enchanter nos vies. A vrai dire, j’ai hésité à le faire, parce que cela revient aussi à livrer une part d’intime et qu’au fond, ce n’est peut-être pas ce à quoi l’on s’attend de la part d’un député, mais je ne suis pas que cela. Disons que c’est juste une petite attention comme ça.
Ce matin, La Provence a mis à la une notre étape du Tour de France des hôpitaux à Martigues et publié une belle interview titrée : « Ce n’est pas faute d’avoir alerté... » Le personnel soignant a maintes fois sonné l’alarme. Mais le gouvernement a préféré faire la sourde oreille... Cette double page montre combien nous avons besoin de démocratie, même en temps de crise.
Au commencement d’une nouvelle semaine, je me retourne un instant sur la longue file des mots alignés depuis le début de cette chronique quotidienne. Ce récit de mes journées, justifié par la crise et le besoin de maintenir le lien et la parole, je pourrais m’y livrer en temps normal. Il y aurait au moins autant de choses à dire. Mais c’est une sacrée discipline. Et un risque quotidien. Celui de parler trop vite, aggravé par le caractère de l’écrit, qui reste. Nous en parlions dans le week-end avec l’ami Bernard Fauconnier, qui s’est livré pendant des années à l’exercice de la chronique hebdomadaire. Quand on a un peu d’exigence envers soi-même, c’est quand même « une forme d’épreuve ». Même si le propre de l’écrivain est d’écrire, il ne faut pas écrire en vain. Bref, je me dis que l’exercice demeure encore utile dans ce moment où les espaces médiatiques sont saturés par la communication de crise et par le marketing politique d’état d’urgence. Ce d’autant que mon registre n’est pas la polémique, je me roule avec peu de plaisir dans le conflit inutile et ma chronique ne tient pas en un tweet. J’essaye de prendre un peu de hauteur en espérant que ça puisse nous grandir un peu.
"Et Jean-François, qui fait partie de notre jury, m’a expliqué en quelques mots comment selon lui le commun s’est édifié par opposition au banal.
Donc, si l’auteur de L’Incendie de la sainte-Victoire (son premier roman, l’Etre et le géant, vient d’être réédité) m’appelait, c’était pour en savoir plus sur ce fameux inventaire des biens communs que j’ai initié la semaine dernière, et dont il avait entendu des échos par un autre ami, Jean-François, dont j’ai déjà parlé ici (c’est le libraire de l’Alinéa). Et Jean-François, qui fait partie de notre jury, m’a expliqué en quelques mots comment selon lui le commun (qui lui tient à coeur) s’est édifié par opposition au banal. Le « ban », dans le monde féodal, c’est le pouvoir d’ordonner, de contraindre et de punir. A l’inverse, la commune était une association d’habitants cherchant à s’affranchir. Il va creuser un peu la question, mais cela nous ouvre de beaux espaces. A partir de là, il y a de la liberté, de l’égalité et de la fraternité à quérir. De la République en fait, et elle a bien besoin d’une nouvelle dynamique.
L'inventaire des biens communs
Cette semaine, le travail institutionnel va monter en charge. Le bureau de la commission va de nouveau se réunir pour engager le travail sur les questions sanitaires et sociales et la mission d’information conduite par le Président de l’Assemblée nationale auditionnera la garde des sceaux mercredi et le ministre de l’intérieur jeudi. Les questions d’actualité se tiendront mercredi avec un député par groupe seulement pour interroger le gouvernement. En son sein, quelqu’un a été nommé pour s’occuper de la sortie du confinement. C’est une question décisive que je vais continuer à poser. Nous devons préparer cette issue. Et le faire ensemble. Pour cela, il faut quand même réunir des conditions, et il est évident que la levée ne se fera pas tout d’un coup, mais avec des précautions. Le gouvernement ne parle pas assez de la suite, il n’aide pas le pays à se projeter, à imaginer le temps d’après. Il ne s’agit pas de se détourner de l’urgence, mais au contraire comme un joueur de foot doit lever la tête quand il a le ballon, d’ouvrir des espaces pour mieux supporter les contraintes actuelles et de s’orienter dans la bonne direction.
On ne peut pas simplement laisser les choses se gérer sous l’égide du Préfet de police de Paris, par exemple, qui se croit tout permis au point de s’être autorisé vendredi à expliquer que les malades d’aujourd’hui étaient ceux qui appliquaient mal le confinement hier : en somme, c’est de leur faute s’ils ont le virus. Il a dû faire acte de contrition, mais ce type d’attitude n’est pas digne de ses fonctions. Et ce n’est pas franchement rassurant, mais on était déjà dans la confidence…
La semaine dernière, la ligue des droits de l’homme s’es inquiétée que le conseil constitutionnel « valide une violation évidente de la Constitution » en acceptant « que les libertés publiques soient drastiquement restreintes tout en en différant le contrôle ». En effet, le Conseil constitutionnel « renonce » à exercer ses missions, selon la LDH, alors que le gouvernement se réunit, que les cabinets se réunissent et que les administrations sont au travail… Dans une période comme celle-ci, en plein état d’urgence taillé sur mesure par celui qui l’applique, n’est-il pas au moins autant essentiel qu’en temps ordinaires de veiller au respect du droit et des libertés ? « Alors que le respect de l’Etat de droit doit prévaloir en toutes circonstances, estime l’association, la protection des libertés individuelles et collectives ne devrait souffrir d’aucun retard ni d’aucun empêchement ». Ces enjeux doivent être pris très au sérieux. Sans quoi nous retournons à grands pas au droit de ban.
Le jour d’après
D’abord, on pourra s’embrasser
Il y aura des enfants dans les cours de récré
Il y aura des jeunes en bas de la cité
Le jour d’après
Ensuite, on pourra promener
Arpenter la plage sous le mistral pressé
Se perdre dans les rues, à battre le pavé
Le jour d’après
Surtout, on se mettra à table
Avec des amis et des frangins insatiables
On se racontera pourquoi pas quelques fables
Le jour d’après
Il y aura des musiciens
Des foules vibrantes de visages et de mains
Nous deux perdus et retrouvés, comme si de rien
Le jour d’après
Il y aura des gens heureux
C’est ce que je voudrais lui dire, fatche de
Alors seulement je viendrai lui dire adieu
Le jour d’après
Lui dire, ces gens qui prennent soin
Ces invisibles que l’on regardait de loin
C’est leur revanche qu’on dessine et c’est très bien
Le jour d’après
Lui dire les jours couleur d’orange
Ils ont un goût que toi tu connais, les vendanges
Sont bien rentrées, chaque matin, le monde change
Pierre Dharréville,
Martigues, 05 Avril 2020