La journée a commencé par une interview matinale sur France Bleu. Je dois avouer que je fais partie des gens qui n’aiment pas trop qu’on leur pose trop de questions de bon matin. Mais, même si en début de journée, on n’a pas forcément le recul sur les événements qu’on acquiert au fil des heures, j’apprécie toujours la compagnie de France Bleu et de ses auditeurs. La question posée, c’était... les masques ! Alors, faut-il obliger au port du masque comme le font certains maires.
D’abord, quels masques ? On en manque partout. On en manque dans les hôpitaux et les EHPAD ! L’Etat lui-même pique ceux des collectivités (alors qu’il suffirait parfois de demander)... On en manque dans la grande distribution, où des femmes et des hommes ont décidé de se mettre en grève pour se faire entendre. Le virus n’a pas éteint la colère sociale, loin s’en faut. Et parmi leurs revendications, il y a la fermeture des rayons qui relèvent du commerce non essentiel tel que défini par le gouvernement lui-même. J’ai posé hier une question écrite sur ce sujet, notamment à la suite du message qui m’a été adressé par le Président des commerçants de Martigues, dénonçant cette « concurrence déloyale ». Ne s’agit-il pas en effet d’une manière de capter une demande alors que les autres commerces sont fermés et d’actionner derrière toute une chaîne de femmes et d’hommes pour du travail non immédiatement indispensable ?
Pour revenir aux masques, peut-on obliger sans donner les moyens ? On se demande d’ailleurs si la doctrine de santé publique martelée n’était pas guidée par la pénurie résultant des choix austéritaires et libéraux. Au passage, nous avons eu bien du mal à tirer les bonnes leçons de la grande peur de la grippe aviaire (car à l’époque, il y avait bien eu de la peur). Mais comme le virus s’était évanoui, nous avons peut-être trop relativisé le danger. J’ajoute que si à l’époque des stocks avaient été constitués de masques et de vaccins, on avait aussi mis en place la loi « hôpital, patients, santé, territoires » qui avait bien éreinté l’hôpital public...
J’en profite pour revenir sur cette affaire de blouses à usage unique sur laquelle j’ai déjà interpelé le gouvernement la semaine dernière (voir la question écrite). La réutilisation de ces blouses semble s’étendre désormais. J’ai pu échanger avec mon ami Yves Castino, secrétaire du syndicat CGT de la Timone, qui m’a confirmé que la colère des personnels est à la hauteur de leur engagement. C’est ce que montre la video qui y a été tournée : ces femmes demandent le respect, du matériel et des réponses. Et cela leur est dû. J’ai aussi pu échanger avec Pascale Jourdan, qui oeuvre, elle à l’Hôpital Nord et attiré l’attention, là aussi, sur la situation. Les personnels de l’hôpital de Nîmes, que j’avais visité dans le cadre de mon tour de France m’on également écrit. Et bien sûr, l’appel que m’a passé Michel Nunez, de l’hôpital de Martigues, m’a permis de faire remonter de nouvelles interpellations concernant la situation des stagiaires quant à leur rémunération, leur encadrement et leurs validations d’examens d’une part (leur engagement mérite d’être reconnu), et d’autre part concernant l’usage après date de péremption... de masques.
Donc, je reviens aux masques. Si l’on dispose des moyens matériels, faut-il obliger ? D’abord obliger à quoi ? A porter quels masques avec quelles règles sanitaires ? Ensuite obliger commune par commune, on n’en voit pas bien le sens. De surcroît, obliger en période de confinement est-il efficace si le confinement et les gestes barrières sont respectés ? Enfin, obliger, c’est-à-dire restreindre les libertés, est-ce souhaitable, est-ce indispensable ? Est-il besoin d’obliger et d’employer la coercition et la répression ? Faut-il mettre les deux pieds dans une démarche d’Etat sécuritaire et hygiéniste, à quel prix et pour combien de temps ? Les questions sont nombreuses. En tout état de cause, comme on a promu activement un certain nombre de gestes barrières, on peut si les experts le préconisent, promouvoir avec insistance le port du masque comme une protection utile pour les autres (dans certaines circonstances et sous certaines conditions d’usage pour que ce soit efficace). On devra sans doute le faire comme mesure d’accompagnement du déconfinement. Je crois à une mobilisation consciente de la société pour faire face. C’est ce ressort qui me semble être le plus sain et le mieux à même de nous tourner vers l’avenir.
Ressortir. Le gouvernement ne veut pas en entendre parler pour l’instant. Il ne veut pas en parler. Le déconfinement n’est pas à l’ordre du jour, a déclaré Edouard Philippe. Il va pourtant bien falloir en parler. Combien de temps allons-nous rester enfermés ? Tout le monde se pose la question. Et ce n’est pas en nous installant dans ce jour sans fin que le gouvernement rend la chose plus supportable. On peut tout à fait estimer que c’est complètement prématuré et commencer à ouvrir les pistes, à dégager les horizons. C’est ensemble que nous devrons en sortir le plus tranquillement possible. Acteurs et actrices de la lutte contre la crise du coronavirus nous sommes et devons rester.
S’affranchissant des consignes du Premier ministre, l’académie de médecine, elle, a abordé ce sujet lundi dernier. Pour mieux comprendre, voici ce qu’elle dit d’entrée : « En l’absence, à ce jour, de vaccin, de traitement antiviral efficace démontré, et dans une situation de pénurie de masques et de tests diagnostiques, force a été, en France comme dans de nombreux pays, de recourir à la méthode du confinement de la population à domicile. Le confinement avait pour but de ralentir la propagation du virus et d’atténuer la brutalité de l’afflux de malades dans les établissements de santé, en particulier des cas les plus graves dans les services de réanimation dont les capacités sont limitées. » A partir de là, l’institution décline les conditions d’une bonne sortie de confinement. Elle suggère notamment qu’elle s’opère par régions étanches lorsque la décroissance des personnes touchées est établie et que l’occupation des capacités des services de réanimation sera revenue à la normale. Elle appelle au respect des précautions barrière, l’interdiction des rassemblements et le port « d’un masque grand public anti-projection, fût-il de fabrication artisanale, dans l’espace public » et ce « jusqu’à l’arrêt de la transmission du virus (absence de nouveaux cas dans les 14 derniers jours) ». Elle préconise enfin le déclenchement des tests de sérologie pour apprécier le risque de survenue d’une deuxième vague, et l’accélération du mouvement pour la mise à disposition d’un vaccin.
Ce sont des réflexions qui méritent d’être discutées, précisées, appropriées et qui nous aident à imaginer la suite. Mais sans attendre, pour isoler le virus, nous devons déployer les tests avec une stratégie clairement réfléchie en commençant par les personnes qui fréquentent les lieux à risque : hôpitaux, EHPAD, lieux de travail...
La suite, le gouvernement y travaille mais n’en parle pas. Il paraît que les économistes défilent à Bercy et dans les couloirs du pouvoir. Mais là encore. La relance est un sujet trop important pour être dicté par un gouvernement revêtu des pouvoirs de l’état d’urgence. J’ai saisi aujourd’hui la mission d’information Covid-19 d’une série de propositions d’auditions, notamment d’organisations syndicales et associatives qui ont leur mot à dire. La gestion de l’urgence conditionne la relance et la gestion de la relance conditionne le cap pour les temps à venir. Cela mérite un vrai grand débat. Allons-nous rallumer le moteur pleins gaz ? Allons-nous consumer les humains et la planète pour rattraper le « retard » ? Allons-nous en profiter pour bifurquer vers d’autres horizons ? La réponse sera locale et mondiale. Nous sommes le soir, et je pose sans doute trop de questions...