Motion de rejet préalable, lundi 15 juin 2020
Tous les sujets, pour le gouvernement, n’appellent pas la même précipitation. Mais pour ce qui est de charger la dette covid sur le dos de la sécurité sociale, le gouvernement s’empresse et comme il en a pris la fâcheuse habitude, utilise de surcroît une procédure accélérée qui contraint le Parlement, un Parlement qui siège déjà sous état d’urgence sanitaire. Ce débat aurait tout à fait pu être mené dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, avec une vision globale.
Le virus n’est pas tout à fait parti, la dette pas encore agrégée qu’elle est déjà sur le baudet. Retour vers le futur. Nous voici en train de recréer le trou de la sécurité sociale, cette construction en trompe l’oeil qui a justifié un discours de compression des droits pendant des années. Ainsi donc, pour soldes de tous comptes de la crise, 136 milliards d’euros seraient transférés à la Caisse d’amortissement de la dette sociale qui avait quasiment achevé son oeuvre d’apurement.
Cette décision clôt le débat sur le financement de la crise. Que recouvre cette dette ?Comment payer ? Qui doit payer ? Sur combien de temps ? Les aides exceptionnelles à une partie de la jeunesse n’étaient pas encore versées que nous examinions déjà un texte tout ficelé en commission. Or, il s’agit d’une discussion nécessaire. Vous avez fait des choix fiscaux dans la dernière période, vous avez fait des choix en matière de cotisation sociale que cette situation nouvelle appelle à remettre en cause. La contribution des plus fortunés, la contribution des grandes entreprises, notamment financières, par exemple les assurances, mériteraient d’être mises à l’étude… Vous préférez courir vous réfugier sous le porche de la CADES.
Ensuite, le gouvernement a fait des choix, sous le régime de l’état d’urgence sanitaire, sans grande discussion, et désormais il en fait supporter les conséquences à d’autres sans autre forme de discussion. L’Etat doit assumer sa gestion. Il doit d’autant plus le faire qu’il n’est pas exempt de choix qui ont conduit au dénuement de l’hôpital public et donc au confinement généralisé. Le gouvernement a asséché les ressources de la sécurité sociale à chaque budget et maintenant il lui transfère sa dette. L’effet ciseaux est déjà bien engagé.
Par ailleurs, ce mode de fonctionnement révèle bien la confusion qui demeure une ligne de force de la philosophie macronienne de l’action publique. Ce grand mélange des budgets et des dettes ne sert pas la clarté de notre organisation sociale. Ainsi, vous ne voyez pas pourquoi on sépare ces deux budgets, ce qui vous autorise à charger les comptes sociaux sans afficher l’intention d’en augmenter les recettes.
Enfin, le choix de la CADES, sur le plan strictement financier, en gestion pure apparaît comme étant un mauvais calcul. La CADES rembourse capital et intérêt, tandis que la dette publique roule. Il s’agit donc bien, au lieu d’une gestion de long terme, d’imposer une gestion de moyen terme, qui va peser sur les citoyennes et citoyens de ce pays pour le plus grand bénéfice de la finance.
Pour conclure sur ce chapitre, la période a de nouveau montré le besoin d’une protection sociale de haut niveau. Son financement dépendra de la robustesse de notre économie, c’est-à-dire de la préservation de l’emploi et des salaires, c’est-à-dire d’une économie réelle indexée sur la réponse aux besoins et soucieuse d’être durable, c’est-à-dire du respect du bien-être au travail et dans toute la vie, car c’est la meilleure façon de ne pas fabriquer une dette à venir. Mais le signal est clair, avec ces 136 milliards, vous dites : ceinture.
Mais vous savez que vous ne pourrez pas échapper au débat sur le droit à l’autonomie, d’autant plus que la situation des EHPAD est apparue de façon plus visible encore pendant la crise, alors ce projet de loi comporte aussi une partie bretelles. Puisque certains avaient imaginé financer un plan en faveur de l’autonomie sur les lignes de crédit dont la CADES n’aurait plus besoin pour rembourser la dette, vous devez rassurer et vous avez décidé de le faire dans le style inimitable du faux-semblant que vous affectionnez tant.
Vous allez, dites-vous, créer une nouvelle branche de la sécurité sociale, une décision, dites-vous, comparable à celles prises en 1945, rien que ça. Et pour cela, vous demandez notre onction, vous avez besoin de notre sceau. Car chacun sait que sans en être les seuls dépositaires, lorsque les communistes s’engagent, c’est qu’il n’y a pas de doute, il y a une avancée sociale.
Mais là, il y a une certitude, c’est que le grand chamboule-tout de la protection sociale continue. Et les slogans publicitaires tapageurs qui l’accompagnent ne suffisent pas à masquer une politique délétère. Nous avons tellement été trompés, nous avons tellement entendu de mots qui disaient le contraire de vos actes. Vous avez tellement usé de votre boite à magie et à illusions…
De quoi s’agit-il ? La sécurité sociale repose sur le principe de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins : une mutualisation permettant d’assurer chacune et chacun face aux aléas de l’existence. La sécurité sociale est assise sur le travail et procède d’une gestion par les assurés eux-mêmes, qui a évolué avec le paritarisme et ensuite avec des formes d’étatisation. La sécurité sociale comporte quatre branches : l’assurance maladie qui garantit de droit à la santé, l’assurance vieillesse qui garantit le droit à la retraite, l’assurance maladies professionnelles et accidents du travail qui garantit le droit de ne pas perdre sa santé au travail et la branche famille qui garantit des droits aux enfants et aux parents. Ce dispositif est complété par l’assurance-chômage qui constitue une institution à part.
Certains nous expliquent qu’il faut désormais couvrir un nouveau risque, celui de la dépendance.
De quoi parle-t-on, d’abord. Nous pouvons toutes et tous à un moment ou à un autre de notre existence, de façon temporaire ou durable voir notre autonomie réduite. Je dis bien autonomie et non pas indépendance. L’indépendance signifierait que je n’ai pas besoin des autres, or nous sommes bien des êtres de relations, d’interactions, de solidarités et nous avons toutes et tous besoin des autres pour vivre au quotidien. Quand on est seul, tant de choses nous sont impossibles. Et la dépendance acte un état de passivité. Il s’agit donc bien de l’autonomie, cette faculté à être le capitaine de sa vie. Cette capacité peut être amoindrie ou entravée par des aléas de l’existence, et pas simplement survenir au gré l’avancée dans l’âge, mais la République doit être là pour défendre l’égalité des droits. C’est pour cela qu’il faut défendre le droit à l’autonomie et maintenir pour chacune et chacun tout au long de sa vie le meilleur niveau d’autonomie. Tout au long de sa vie, c’est aussi là que se niche l’universalité, ce n’est pas quelque chose qu’on peut distribuer à la découpe. Une fois encore, c’est bien la philosophie de la sécurité sociale, qui établit pour cela des droits.
Quels constats peut-on dresser ? Ce risque de la perte d’autonomie n’est pas nouveau, qu’il connaît déjà des formes de prise en charge, et que ces formes sont très insuffisantes. Cela a pour conséquence de faire reposer sur les familles une charge parfois insoutenable, comme en témoignent nombre de personnes aidantes, qui sont très majoritairement des femmes, ou de laisser des femmes et des hommes dans la difficulté quand ce n’est pas la déchéance. C’est indigne de la République. Il faut agir pour maintenir l’autonomie. C’est à dire ne pas se résoudre à en rabattre, mais toujours accompagner pour chaque personne humaine vers le meilleur d’elle-même. Ne jamais renoncer au mouvement d’émancipation humaine.
On ne peut pas se contenter d’en rester à un constat à plat : pourquoi en sommes-nous à ce si dramatique état social ? parce que depuis des décennies, alors que le monde changeait, et notamment que la famille se transformait et l’on sait que la structure familiale joue un rôle décisif dans l’organisation des rapports sociaux, le choix a été fait de s’enfoncer toujours dans les bois du néolibéralisme. Et les structures du mouvement populaire qui ont émergé pour répondre à ces besoins dans la seconde partie du XXème siècle se sont trouvées à la peine pour faire face dans ce contexte.
De quoi avons-nous besoin ? Il y a fondamentalement deux dimensions essentielles à réinvestir : la prise en charge solidaire et le service public de l’autonomie.
Le maintien de l’autonomie suscite des dépenses de soins, d’accompagnement et d’hébergement. Les soins relèvent de l’assurance-maladie, au titre du droit à la santé. Cela représente une part importante des frais liés à l’autonomie, selon les chiffres du rapport Libault lui-même. Mais cela s’inscrit dans une conception réduite du soin et de la santé elle-même. En réalité, la compression des dépenses de santé avec ses déremboursements et le périmètre de ses prises en charge, pas plus que l’allongement de la durée de travail, ne correspond pas à la promotion d’un « état de complet bien être physique, mental et social ». Nos politiques sociales et publiques centrent bien trop leur réponse sanitaire sur à une dimension curative, qui en rabat sur l’ambition de la sécurité sociale elle-même. L’ensemble des soins devrait être pris en charge à 100% dans une acception non restrictive. Aujourd’hui le reste à charge réel des assurés est considérable. L’accompagnement humain fait partie du soin et constitue une dimension essentielle du maintien de l’autonomie ; il correspond aussi à l’aspiration du maintien à domicile. Quant à l’hébergement, lorsqu’il advient, ce n’est pas un luxe mais il répond à la nécessité d’un environnement plus sécurisé.
Certes, la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie a constitué un véritable progrès en 2002, mais que s’est-il passé depuis ? La PCH appelle elle aussi des améliorations. En réalité, les aides humaines sont dispensées au compte-gouttes, et dans de nombreux cas, ne permettent pas de garantir un droit plein et entier à l’autonomie et le déploiement d’une démarche de soins et de prévention offensives. Quant à l’hébergement collectif, il présente un coût élevé, avec un reste à charge moyen de 1800 euros par mois pour les familles. Déjà, un marché a commencé à s’ouvrir pour que les personnes s’assurent individuellement dans une logique de viager contre ce risque dit dépendance. Une voie sans issue, inégalitaire, gaspilleuse.
Ce besoin de prise en charge s’inscrit bel et bien dans le champ de la sécurité sociale et du droit à la santé. Il est donc incontournable de progresser dans la prise en charge en n’écrêtant pas l’ambition de la sécurité sociale qui doit s’appliquer tout au long de la vie.
Mais pour relever ce défi, il y a besoin d’outils permettant d’apporter les bonnes réponses. Il y a besoin de services d’accompagnement à domicile et d’établissements d’hébergement. Des mutations sont nécessaires pour sortir des logiques de cloisonnement et de mise à l’écart. Des investissements sont indispensables pour garantir des conditions de vie et de travail dignes. Des financements sont incontournables pour assurer la présence humaine qualifiée pour effectuer ces nobles tâches de prendre soin. Là encore, des intérêts privés sont sur le coup pour capter les cas rentables. La silver économie, comme on dit, consiste à se faire du pognon sur le dos des anciens. Cet argent capté pour alimenter des actionnaires fait défaut à toute une partie de la population. Pour se dédouaner de ses responsabilités, la puissance publique accepte que le services du droit à l’autonomie soient un grand marché. Et certains établissements publics sont même mis à la vente.
Le chantier est tel qu’il y a véritablement besoin pour faire face d’un grand pôle public de l’autonomie garantissant des droits égaux pour toutes et tous. Il reste aujourd’hui à construire.
Mais le gouvernement n’a pas décidé cela. Il a décidé de créer une pochette surprise. Et il y a tout à craindre de sortir le droit à l’autonomie, composante du droit à la santé, de l’assurance maladie pour créer une nouvelle branche. Créer une nouvelle branche, au-delà du fait que cela doit se fonder sur une philosophie de la protection sociale que nul n’a énoncée jusqu’ici, c’est donc potentiellement établir trois choses : un niveau de droits particulier, un mode de financement différent, un mode de gouvernance à part. Et vous ne dites rien sur rien.
A l’origine, il était prévu de demander un rapport au gouvernement pour dans quelques semaines afin d’étudier l’opportunité de cette décision. C’était déjà cousu de fil blanc. Vous avez décidé de franchir le pas avec la gourmandise du petit enfant devant la vitrine du glacier, en choisissant le cornet. Parce que vous êtes friands de slogans et surtout parce que vous avez besoin de vous refaire un peu la cerise, tant c’est la casse sociale qui a marqué ce quinquennat. Mais justement, comment voulez-vous qu’on fasse confiance à une majorité qui porte une telle marque de fabrique ? Une majorité qui s’est tellement payée de mots qu’il y a de quoi écrire un nouveau dictionnaire ?
Ainsi, attirés par ce qui brille, vous gravez ce choix dans la loi sans même attendre ce rapport, sans en avoir étudié les tenants et les aboutissants, sans avoir réellement instruit ce sujet, prétendant une nouvelle fois accomplir les écritures sans vous demander s’il n’y a pas parmi les raisons qui ont conduit à ce que cette idée ne soit pas mise en oeuvre, quelques raisons valables. N’est-ce pas au bout du compte une fausse bonne idée ?
Y a-t-il besoin d’un éclatement de la branche assurance maladie pour rendre visibles ces enjeux : ils le sont déjà. Plus que des mesures visibles ce sont des mesures sensibles et tangibles qui peuvent être prises : il faut un droit à la prise en charge et un pôle public décentralisé. Si ces enjeux étaient dans une branche à part, rendant bancale l’architecture de la protection sociale, ce serait pour quel bénéfice commun ? Comment et pourquoi découper les soins entre l’autonomie et le reste ? Comment et pourquoi regrouper l’investissement, le fonctionnement et la prise en charge ? Dans un contexte où, comme en témoigne le transfert de la dette vers la CADES, la sécurité sociale est utilisée comme variable d’ajustement des politiques publiques, il y a tout à craindre. Vous ne le dites pas, mais déjà sont en train de s’inventer des complémentaires privées particulières à cette branche. Cette nouvelle manière potentielle d’étatiser la sécurité sociale en entrant possiblement dans une démarche de solidarité nationale plutôt que de protection sociale. Et une nouvelle fois, il est à craindre que vous ne mettiez en place qu’un écosystème au service de la marchandisation des services à la personne et de la protection sociale.
Nous ne sommes pas décidés à acheter sur plans, d’autant moins qu’en la matière, il n’y a pas de plans, mais juste un nom de domaine. Vous n’êtes pas mûrs pour le temps des cerises.