Aides publiques versées aux entreprises - Séance du 11 janvier 2023
« Chaque euro compte pour un État qui a 3 000 milliards d’euros de dettes », a déclaré hier M. Bruno Le Maire. Voilà donc le message du Gouvernement à celles et ceux qui vivent de leur travail. Ils le savent bien d’ailleurs, tant ils sont nombreux à connaître des fins de mois toujours plus difficiles. Mais votre ministre de tutelle, monsieur le ministre délégué, a oublié de leur dire que chaque euro ne compte pas pareil : pour certains euros, on ne compte plus. Pourtant, si un euro compte, imaginez 156 milliards d’euros… Ce sont les bénéfices records réalisés par l’ensemble des entreprises du CAC40 en 2021, dont plus de la moitié reversée ou plutôt déversée sur les actionnaires, soit 80 milliards d’euros, 10 milliards de plus que l’année précédente.
Feu d’artifice et cascade de champagne ! Et il faudrait être fier que des gens soient si riches… Combien d’argent public a été accordé aux entreprises par un État pour qui chaque euro compte ? En 2019, 160 milliards d’euros, soit la moitié du budget des pensions de retraite, le double du budget de l’éducation nationale. Pour certaines, cela pouvait sans doute s’entendre, mais sur ces 160 milliards, combien pour les entreprises du CAC40, rarement en reste dans le partage du gâteau et qui ont dû en capter une part considérable ? Selon l’observatoire des multinationales, 100 % des groupes du CAC40 ont bénéficié d’aides publiques… et ce sans condition. C’est mieux qu’à la Française des jeux : 100 % de ceux qui ont tenté leur chance ont gagné. Alors, on ne compte plus, on n’y arrive plus, on fait péter le compteur quand il s’agit des dividendes : 80 milliards d’euros, provenant pour partie de l’argent public.
C’est pour cela qu’il faut travailler plus, plus longtemps, plus souvent, se serrer la ceinture : permettre ce partage des richesses… réservé à quelques-uns ! Les aides de l’État aux entreprises augmentent d’année en année, sur fond de discours qui tend à discréditer l’impôt et la cotisation, présentés comme étant par nature illégitimes et abusifs. Son obsession de la foire aux exonérations, votre ministre ne s’en cache pas, monsieur Lescure, il la formule à sa façon : « Il faut, dit-il, baisser les prélèvements obligatoires », baisser ce qu’il appelle « les impôts de production » et ce qu’il nomme « le coût du travail ». Or, parmi ce qu’il veut baisser, il y a de vrais morceaux de retraite des ouvriers, des employés, de bien d’autres salariés, de celles et ceux qui vivent de leur travail.
Toujours plus de cadeaux pour la finance, toujours plus de sacrifices pour le monde du travail. C’est une réalité et c’est une vieille histoire, monsieur le ministre délégué. Vous m’expliquerez que c’est du passé, qu’il ne faut pas faire de manichéisme… Mais c’est vous qui rendez cette vieille histoire plus moderne, plus contemporaine, chaque jour. Toujours plus de ces euros qui ne comptent pas pareil selon que vous êtes puissant ou misérable : pour alimenter la finance, toujours prendre soit sur les salaires, soit sur la protection sociale, soit sur les services publics. Vous persistez dans vos choix. Pourtant, ces vieilles recettes ont fait la démonstration de leur inefficacité, et si souvent de leur nocivité, sur notre pacte social, sur notre promesse républicaine et sur nos vies !
Cette manne financière ne cesse de grever les budgets de l’État et organise l’impuissance publique en réduisant les capacités des services publics et la protection des plus fragiles : l’hôpital public est au plus mal, l’éducation nationale manque d’enseignants, la justice souffre… Avec eux, vous et votre ministre êtes tout sauf généreux. En 2019, la Cour des comptes estimait à 91 milliards d’euros le montant des exonérations de cotisations sociales, en principe compensées sur le budget de l’État, donc financées par l’impôt. Cependant, il paraît que chaque euro compte.
J’en viens aux aides directes, monsieur le ministre délégué. Que l’État choisisse de soutenir des projets, des secteurs et des entreprises n’est pas problématique en soi, mais c’est la façon systématique, inconditionnelle, aveugle, avec laquelle il procède qui fait problème. L’intervention publique doit servir à orienter les choix vers les salaires, la formation, la recherche, l’investissement ou encore vers la transition écologique ; pas à payer des milliards de dividendes. Parce que chaque euro compte, n’est-ce pas ? Alors, il faut que ces aides ne soient pas toujours captées par les puissants.
L’argent public, lorsqu’il s’agit d’intérêts stratégiques, ne devrait pas être systématiquement donné, mais beaucoup plus investi en titres de propriété, en prises de participation, c’est-à-dire en leviers d’intervention dans la gestion des grandes entreprises.
Monsieur le ministre délégué, quand est-ce qu’on compte les euros pour le monde de la finance ? Quand est-ce qu’on arrête avec l’arrosage automatique ?
Chaque euro compte !
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