Affirmer le caractère de service public national d'ADP

Proposition de loi n°1867 présentée en application de l'article 11 de la constitution visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris

 

Un aéroport n’est pas une entreprise comme les autres : c’est un outil stratégique de politique économique. Cette vision est partagée par la plupart des pays européens pour lesquels les aéroports restent propriété de la puissance publique (ville, région, État, …). C’est ainsi qu’en Allemagne, en Espagne ou en Italie, aucun aéroport n’est détenu uniquement par des acteurs privés. Au sein de l’Union européenne, la France, avec le Portugal, la Slovénie, la Hongrie et la Roumanie, fait figure d’exception avec actuellement plus de 40 % d’aéroports détenus par des acteurs privés. Récemment, la réflexion sur le positionnement stratégique des infrastructures, et par voie de conséquence leur mode de financement, vient de trouver un nouvel écho au Royaume‑Uni où la majorité conservatrice a décidé en octobre 2018 de ne plus recourir aux partenariats public‑privé pour financer les infrastructures.

Afin de ne pas reproduire les erreurs liées à la privatisation d’infrastructures stratégiques en situation de monopole, nous souhaitons avec la présente proposition de loi référendaire donner la possibilité au peuple français de se prononcer quant à l’affirmation du caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, ce qui aura pour conséquence de rendre impossible leur privatisation.

Historique de la création et de l’actionnariat d’Aéroports de Paris

Le 24 octobre 1945, le gouvernement provisoire de la République française a créé, par l’ordonnance n° 45‑2488, l’établissement public « L’Aéroport de Paris », chargé du développement de l’activité aéroportuaire en région parisienne.

Le domaine de cet établissement public a été étendu des aéroports de Paris‑Orly et du Bourget aux aérodromes avoisinants en 1949, puis au nouvel aéroport de Roissy‑Charles de Gaulle en 1974.

Le 4 janvier 1989, par décret n° 89‑10, l’établissement public est renommé « Aéroports de Paris ».

La loi n° 2005‑357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports prévoit la transformation de l’établissement public en société anonyme. Elle prévoit également les conditions de déclassement et de transfert des biens meubles et immeubles du domaine privé de l’État ou de l’établissement public à la nouvelle société. Ce faisant, l’État a doté la nouvelle société d’un actif considérable, notamment immobilier, dont 6 700 hectares de foncier mutable, soit l’équivalent des XIXe et XXe arrondissements de Paris.

Après l’ouverture progressive de son capital en 2006, l’État n’est plus actionnaire de la société ADP qu’à hauteur de 50,3 % en 2019.

 ADP : une société à la rentabilité croissante

La société ADP est une entreprise stratégique, qui exploite en sus des aéroports parisiens, dix autres aérodromes en Île‑de‑France et possède des participations dans les aéroports d’Amsterdam‑Schiphol ou encore d’Istanbul‑Atatürk.

Comme en témoignent les rapports financiers de la société, ADP est une société florissante qui a connu une augmentation annuelle moyenne de 3,8 % de ses revenus et de 10 % de son résultat net part du groupe sur les dix dernières années. D’août 2013 à août 2018, en 5 ans, le cours du titre ADP est passé de 74 euros à 193 euros soit une progression de 161 %. Les résultats 2018 du groupe démontrent à nouveau l’excellente santé de la société qui voit son chiffre d’affaires progresser de 4,6 % à périmètre constant et son résultat net de 6,8 %. Les dividendes versés à l’État devraient donc passer de 173 millions d’euros en 2018 à 185 millions d’euros en 2019.

Depuis plusieurs années, le titre a notamment été porté par l’évolution du cours du pétrole et la croissance du trafic aérien mondial.

L’exploitant des aérodromes de Paris dispose d’un monopole de fait sur le trafic aérien de passagers, en particulier du trafic long‑courrier. Conformément au préambule de 1946 qui précise que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité », il apparaît donc légitime que ces aérodromes et leur exploitation soient la propriété de la collectivité.

 Aéroport Roissy Charles de Gaulle : deuxième hub européen

ADP dispose avec l’aéroport de Roissy‑CDG du deuxième Hub européen après Londres‑Heathrow en nombre de passagers avec 69,5 millions de passagers en 2017. Comparativement à ses concurrents européens, l’aéroport de Roissy‑CDG dispose d’une capacité de développement importante.

Là où son concurrent londonien voit le projet de construction d’une troisième piste rencontrer une forte contestation populaire, y compris du maire de Londres, l’aéroport de Roissy‑CDG dispose d’ores et déjà de quatre pistes et a engagé la concertation en vue de la construction d’un terminal 4 qui permettrait, à l’horizon 2023‑2024, d’augmenter de 10 millions de passagers sa capacité actuelle et à terme, de porter celle de l’aéroport à 120 millions de passagers en faisant le premier aéroport européen.

 Projet Cœur d’Orly

Dans le même temps, l’aéroport d’Orly connaît également des évolutions importantes portées par le projet Cœur d’Orly qui prévoit quinze hectares de quartier d’affaires international et une plateforme multimodale faisant arriver deux lignes du métro du Grand Paris et le TGV au cœur de l’aéroport. De plus, la réalisation d’un bâtiment de liaison entre les deux actuels terminaux permettra une modernisation importante de l’aéroport et une augmentation de sa capacité de 3,5 millions de passagers.

 ADP : d’importants développements pour accompagner la demande

Ainsi, les actifs du groupe ADP connaissent un développement important qui permettra à celui‑ci de positionner Paris comme le premier Hub européen. Alors que l’IATA évalue à 7,2 milliards le nombre de passagers qui voyageront en avion en 2035, soit près du double des 3,8 milliards de voyageurs aériens enregistrés en 2016, il s’agit d’un enjeu économique et touristique majeur pour notre pays.

Toutes les données pointent donc vers une consolidation de la position centrale des aéroports de Paris comme porte d’entrée de la France et de l’Europe et comme principal pôle d’activités du pays.

En effet, d’après l’étude d’impact socio‑économique des aéroports de Paris‑CDG, de Paris‑Orly et de Paris‑le Bourget réalisée en 2017, ces trois plateformes ont soutenu 570 860 emplois directs et indirects soit 2,2 % de l’emploi en France et représenté une création de richesse estimée à 30,3 milliards d’euros soit 1,4 % du PIB français en 2016.

Les aéroports de Paris représentent donc également un des principaux pôles d’emploi et d’activité du pays et les choix de développement et d’aménagement de ces plateformes revêtent donc une importance de portée nationale.

Ces aérodromes jouent un rôle central dans l’aménagement du territoire, d’une part, et dans l’accès des français aux lignes aériennes long‑courrier, d’autre part.

Les aéroports de Paris‑CDG et Paris‑Orly représentaient à eux seuls 101,5 millions de passagers en 2017 soit 58,2 % du trafic total de passagers des 15 aéroports français les plus fréquentés. D’après l’observatoire de la connectivité aérienne fondé par ADP et Atout France, la France capte 12 % du trafic mondial long‑courrier. La France s’établit depuis 2011 comme la troisième plus grande destination parmi les dix principaux marchés long‑courriers et tient cette position stratégique d’un profil de trafic très équilibré.

Les aéroports de Paris représentent donc un nœud central du trafic aérien mondial long‑courrier, une place absolument stratégique considérant le positionnement de la France comme première destination touristique mondiale.

En 2017, la France a accueilli 90 millions de touristes qui ont dépensé 44,3 milliards d’euros. Ce sont 2,8 millions d’emplois, soit 10 % de l’emploi salarié qui est lié au secteur du voyage et du tourisme. Au total, sur l’année 2017, le secteur a contribué à l’économie française à hauteur de 204,3 milliards d’euros. Cela signifie que 8,9 % du PIB de la France dépend d’une manière ou d’une autre du secteur du voyage et du tourisme. D’après un rapport du Conseil mondial du voyage, ce poids va continuer de croître à l’horizon 2028 pour atteindre 9,4 % du PIB et 11,2 % de l’emploi total.

En tant que principale porte d’entrée des voyageurs internationaux et notamment long‑courriers, les aéroports de Paris revêtent un intérêt stratégique majeur pour la réalisation effective de ces prévisions.

 ADP : au cœur des enjeux de gestion de la frontière de l’Union européenne

Cette porte d’entrée est également une frontière extérieure de l’Union européenne avec des enjeux en matière de sûreté et de sécurité importants pour la France mais aussi des obligations vis‑à‑vis des autres pays de l’Union.

Aujourd’hui la société ADP est notamment en charge, sous le contrôle de la Direction générale de l’aviation civile, de la délivrance des badges d’accès et de circulation du personnel des aéroports, qu’il s’agisse du personnel commercial, technique ou de sécurité. Elle sélectionne également les sociétés habilitées à procéder aux contrôles de sûreté des passagers. Ces opérations qui pourraient relever du domaine régalien, sont stratégiques pour la sécurité des biens et des personnes.

 ADP : un pilotage de l’aménagement du territoire national

Ces aéroports revêtent également un rôle central en matière d’aménagement du territoire. En effet, si la France dispose d’un réseau routier et ferroviaire de premier plan, en particulier s’agissant des routes ferroviaires à grande vitesse, notre pays n’en conserve pas moins un maillage aérien particulièrement important depuis et vers la capitale. Ainsi, ce ne sont pas moins de 83 liaisons aériennes qui sont opérées depuis les aéroports de Paris vers des destinations intérieures en métropole et dans les outremers.

À titre de comparaison, l’aéroport de Londres Heathrow dont l’exploitation est privée, n’opère plus que 13 liaisons aériennes intérieures au Royaume‑Uni vers 10 destinations sur un total de 180 destinations desservies.

En effet, le modèle économique de l’exploitation aérienne repose d’une part sur les taxes d’aéroports perçues par passager en rétribution des services aéronautiques et d’autre part, sur les dépenses de ces passagers dans les boutiques de l’aéroport.

Le nombre total de vols quotidiens étant structurellement limité par la taille de l’aéroport et son nombre de pistes, les sociétés aéroportuaires privées sont fortement incitées par leur modèle économique à favoriser les avions contenant le plus de passagers et donc les destinations long‑courrier. Ces passagers internationaux hors UE, consomment également plus de services commerciaux, notamment de duty‑free, d’autant plus lorsqu’ils sont immobilisés durant une escale. Les recettes des commerces représentent ainsi 43 % des recettes du groupe ADP.

Les lignes régionales intérieures, mobilisant de plus petits avions sont ainsi économiquement sacrifiées sauf lorsque la puissance publique est chargée de l’exploitation de ces aéroports puisqu’elle est amenée à mettre en balance les impératifs économiques et les impératifs d’aménagement du territoire, dont une société privée ne saurait s’embarrasser si elle peut y échapper.

Ainsi si le poids économique et social direct et indirect des aéroports de Paris justifie que leur exploitation soit reconnue comme relevant d’un service public national, les enjeux posés en matière d’aménagement et de maillage du territoire ne font que le confirmer.

 ADP et la question écologique

Enfin, les aéroports de Paris sont autant source de création de richesses, qu’ils peuvent être source de nuisance pour leurs riverains comme pour l’environnement.

L’aviation est responsable de 2 à 3 % des émissions de CO2 à l’échelle mondiale. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur pourraient encore au moins tripler d’ici à 2030. Si l’aviation échappe à l’Accord de Paris, sa contribution au dérèglement climatique est bien réelle. Selon le centre de recherche Carbon Brief, les émissions de l’aviation pourraient représenter un quart du budget carbone d’ici à 2050 pour limiter la hausse planétaire des températures à 1,5°. Il nous paraît donc nécessaire que l’exploitation et le développement des aérodromes de Paris relèvent d’un service public national afin que la puissance publique puisse décider démocratiquement des conditions d’exploitation et de développement de ces aérodromes pour faire face à cet enjeu.

L’étude de l’observatoire Bruitparif publiée en 2019 et intitulée Impacts sanitaires du bruit des transports dans la zone dense de la région Île‑de‑France, démontre que les habitants des communes limitrophes des pistes des aéroports de Paris perdent plusieurs années d’espérance de vie du fait des nuisances aériennes. Les communes les plus touchées étant Compans (38,1 mois), près de Roissy, et Ablon‑sur‑Seine (37,8 mois) et Villeneuve‑le‑Roi (34,3 mois) près d’Orly.

Il est donc essentiel, au regard de l’impact de ces aéroports sur leur environnement et de leurs perspectives de développement, que les intérêts liés à l’exploitant des aéroports et ceux de la puissance publique, chargée de la protection des populations et de l’environnement, ne soient pas concurrents.

À titre d’exemple, les contraintes des plans d’exposition aux bruit sur les plans locaux d’urbanisme, s’ils concourent naturellement à ne pas augmenter excessivement les populations soumises à ces nuisances, ont également pour effet de priver les communes concernées de toutes marges en matière d’aménagement et de développement urbain.

 Une procédure référendaire conforme aux dispositions de la Constitution

Ainsi, les parlementaires signataires de la présente proposition de loi référendaire considèrent que les enjeux de portée nationale en matière économique, sociale, stratégique, de mobilités, d’aménagement du territoire et de protection des populations et de l’environnement que revêtent les aérodromes de Paris justifient que leur aménagement, leur exploitation et leur développement relèvent d’un service public national au sens du neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

S’agissant de sa recevabilité, cette initiative respecte chacune des exigences posées par l’article 11 de la Constitution. En premier lieu, cette proposition porte sans conteste « sur un objet mentionné au premier alinéa » de l’article 11 précité à savoir « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ».

En effet, il n’est pas douteux que les missions aujourd’hui exercées par ADP et visées par la présente proposition relèvent bien de la notion de « services publics » et qu’elles participent de la politique « économique, sociale et environnementale de la nation ». À cet égard, le garde des sceaux a pu préciser le sens de cette expression ajoutée au premier alinéa de l’article 11 par le constituant en 1995.

Après avoir évoqué la nécessité « de consulter le peuple sur des grandes options », M. Jacques Toubon précisait : « À titre d’exemples, un référendum pourrait porter, dans le domaine économique, sur les privatisations […]. Concernant les services publics, celui de l’enseignement y compris dans ses rapports avec l’enseignement privé, ceux des transports, de la communication audiovisuelle, de la poste et télécommunications et, plus généralement, la question de l’organisation de nos services publics en monopole d’État pourraient également faire l’objet de consultations […] ».

En second lieu, la présente proposition n’a aucunement pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. À cet égard, la limite fixée par le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution est dépourvue d’ambiguïté : pour que cette disposition puisse faire obstacle à un référendum d’initiative partagée, il faudrait, au moment où le Conseil constitutionnel aurait à se prononcer sur la recevabilité d’une telle initiative, qu’une disposition législative contraire soit déjà « promulguée ». Or, à supposer que notre proposition de loi s’inscrive aux antipodes d’une disposition d’un projet de loi actuellement en discussion au Parlement, force est de constater qu’aucune abrogation n’est envisageable et ce pour une raison simple : le projet de loi actuellement en discussion, par définition, n’a pas pu faire l’objet d’une promulgation.

Au demeurant, faute d’une telle interprétation de la limite fixée par l’article 11 de la Constitution, il serait aisé pour le Gouvernement ou la majorité de faire obstacle à tout référendum d’initiative partagée en déposant, en cours de discussion d’un projet ou d’une proposition, un amendement proposant d’inscrire dans la loi une disposition que l’initiative partagée viendrait abroger si toutefois elle était adoptée.

Ainsi, cette limitation doit être interprétée en respectant la lettre et l’esprit de l’article 11 de la Constitution : pour être irrecevable il faudrait que la présente proposition de loi ait pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Puisqu’il n’existe nulle disposition législative promulguée à ce jour, la présente proposition de loi est donc recevable.

Il revient donc au peuple Français, par voie de référendum, de pouvoir affirmer ou non le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris.

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