« Le confinement est un miroir grossissant des situations ordinaires, qui sont le résultat de choix politiques ». J’auditionnais ce matin les associations de lutte contre la pauvreté pour le compte de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Le tableau qui nous a été dressé donne le vertige, le frisson et la colère.
Le même sentiment noueux qu’en voyant hier ce couple soulever le couvercle d’une poubelle sur le bord du canal, et avant-hier cet homme venu récupérer des provisions auprès des bénévoles de l’Association Partage. Ce n’est pas une surprise, mais cette réalité se cache. Dans notre pays, il y a un nombre incroyable de femmes et d’hommes qui dépendent de la charité, il y a encore des foyers qui n’ont pas accès à l’eau, il y a pléthore d’enfants et de jeunes qui ont faim. C’est dur. Parce que l’économie de la débrouille n’est plus tellement possible, parce que les jardins partagés sont parfois confinés, parce que l’école est fermée, parce que la solidarité de proximité est plus difficile, parce que la question alimentaire n’est pas la seule... Et parce que les prestations sociales sont insuffisantes. Quant aux aides exceptionnelles, elles sont de 150 euros par foyer alors que le besoin a été établi à 250 euros par mois pour le chèque services. Les familles toucheront en plus 100 euros par enfant, soit 1,5 euros par jour de confinement, avec des difficultés qui vont bien au-delà. Dans la situation actuelle, les jeunes demeurent hors-champ. Il faut d’urgence prendre des mesures spécifiques pour eux. Des hommes et des femmes qui parvenaient tant bien que mal à s’en tirer jusque là sont en train de basculer. L’isolement du confinement vient s’ajouter à l’isolement de la précarité et de la pauvreté. Il est difficile de faire valoir ses droits, et l’exclusion numérique fait des ravages dans tous les domaines. On ne peut pas en rester là et je porterai cette exigence dans les jours qui viennent.
On ne dit pas assez le sentiment d’humiliation qu’ont tant de femmes et d’hommes conduits à ravaler leur fierté et à demander de l’aide, à laquelle pourtant elles et ils ont droit. Les associations ne veulent pas seulement apporter une aide alimentaire ou pécuniaire, elles portent l’exigence de permettre à chacune et chacun de se relever et d’en sortir. Mais elles le font dans un système qui fabrique de la pauvreté et qui l’entretient. Selon la DREES, les prestations permettent de la réduire de 8 points, mais c’est encore 14% de la population qui vit sous le seuil de pauvreté et 18% de la population qui se déclare pauvre. Combien à l’issue de la crise ? Après celle de 2008, la fréquentation des structures de solidarité avait bondi de 20%. Les bénévoles sont mobilisés, dans une pénurie de moyens de protection. Une partie d’entre eux sont ces retraités qu’on aurait voulu faire travailler plus longtemps ou confiner plus longtemps, on ne sait plus très bien... La société doit se préoccuper plus fort de chacune et de chacun. Et elle doit s’imaginer autrement demain : nous aurons besoin de tous et toutes pour repartir de l’avant, et nul ne devra rester sur le bord du chemin. Une question parmi tant d’autres : les enfants auront-ils droit à des vacances cet été ?
Avant cela, ils reprendraient en ordre dispersé le chemin de l’école, d’après les annonces du ministre, faites sans véritables discussions préalables. Tout cela paraît assez bancal. Alors que tant de questions demeurent en suspens : peut-on parler du déconfinement scolaire sans une vision d’ensemble ? Toujours est-il qu’on a l’impression qu’il se prend pour le pilote de la voiture et que nous serions toutes et tous des enfants sur la banquette arrière.
Ce déconfinement, dont on a le sentiment qu’il s’amorce parfois en douce, il sera sans doute un chemin plus long que nous le souhaiterions. Mais chaque jour, nous apprenons. Chaque jour, nous mesurons la valeur de choses ordinaires. Chaque jour, nous apercevons les failles. Chaque jour, monte en nous l’envie de changer de tas de choses. C’est peut-être ce que veut dire le chanteur Cyril Mokaiesh dans sa dernière chanson : « Si j’avais su... Si j’avais su qu’il me manquerait, beau comme il est, le jour d’après. » Sur ce chemin trop long, il ne faudra abandonner personne, il ne faudra rien céder à la faim, il ne faudra pas oublier le goût de ce que nous voulons retrouver, il ne faudra pas perdre la trace de ce que nous voulons inventer.