Pas à la fête

« C’est quand qu’on fait la fête ? », voilà le salut d’un ami aperçu dimanche de l’autre côté de la rue. C’est vrai, ça, c’est quand qu’on fait la fête ? Pas complètement tout de suite. Le déconfinement, c’est tout un travail pour ne pas que ça ne tourne à la déconfiture. Un travail à imaginer et à faire ensemble. 

Mais le Président de la République se veut notre guide et le Premier ministre notre berger. Il a donc tracé la feuille de route du déconfinement en solo devant l’Assemblée nationale à qui il était venu demander la confiance. Etait-ce vraiment le moment de la lui accorder ? Sans méconnaître le caractère hors-norme de l’épreuve que nous traversons, on peut s’étonner de l’entendre se défausser de ses responsabilités dans l’incapacité à réagir de notre pays face au virus. Mais on comprend que c’est toute une pratique politique, puisqu’il renvoie la responsabilité de la réussite de son plan à la discipline des Françaises et des Français. Et il se décharge sur les élus locaux, à la façon « débrouille-toi avec ça ».  C’est la réponse libérale, au fond : chacun est comptable de son sort. Que fait l’Etat pour garantir, organiser, contrôler ? On reconnaît que c’est compliqué, mais faudrait voir à nous faciliter la tâche. En réalité, les conditions peinent à être réunies pour le 11 mai, nous aurons donc un déconfinement poussif avec un plan pas clair. On ne va pas pouvoir en rester là. Je demande qu’une fois un vrai travail de discussion engagé ces prochains jours, le Premier ministre revienne s’expliquer. Et je refuse une prolongation de cet état d’urgence qui met la démocratie à la porte.

D’abord, nous voulons connaître les indicateurs de suivi pour pouvoir les discuter et leur évolution doit être rendue publique en temps réel. Qu’on nous dise les choses, bon sang ! C’est la condition pour que nous soyons acteurs et actrices de la sortie. Ensuite nous voulons un droit au masque pour chacune et chacun afin de ne pas creuser les inégalités et un encadrement des prix pour les masques supplémentaires. Il faudrait que soient précisées les préconisations concernant leur usage. Au passage, les masques grand public n’ont pas du tout le même niveau de protection que les masques chirurgicaux, même avec la norme AFNOR. Les tests virologiques doivent être massifiés avec un plan stratégique précis, au-delà de ce qui est annoncé. C’est le seul moyen offensif à ce stade de s’attaquer à la circulation du virus. Et pour l’hôpital, quel est le plan de réorganisation ? 

On ne comprend toujours pas à quelle cohérence obéissent les annonces pour l’école et les crèches. Un maire de la circonscription me disait : « c’est la quadrature du cercle ». Ou alors, il s’agit en effet d’ouvrir une garderie pour ceux qui ne peuvent pas s’organiser autrement. On devrait plutôt se demander : quel est le projet éducatif adapté à la situation ? 

Le gouvernement appelle à une nouvelle organisation du travail, qui ne doit pas être imposée. Le travail de suivi va mobiliser des brigades dont on ne sait rien sinon qu’elles seront pour partie composées d’agents de la sécurité sociale et des CAF, qui ont vu fondre leurs effectifs ces dernières années et ont aussi un métier. En ces temps d’épidémie, les risques sont accrus pour la santé au travail ou en télétravail. Il faut renforcer la vigilance. Les conditions de travail doivent être discutées et validées au sein des Comités sociaux et économiques, et il faudrait même développer largement des commissions d’hygiène et de sécurité des conditions de travail. J’en profite pour souligner que le 28 avril est la journée de la sécurité et de la santé au travail, et que nous sommes en face d’immenses défis. Il faut panser et repenser le travail. Nous n’en prenons pas le chemin. 

Le Président du groupe LREM, Gilles Legendre a déclaré que « le déconfinement est le laboratoire de l’après » : ça promet !

La mission que je conduis a pu auditionner l’Assemblée des départements de France pour échanger sur la situation de l’aide sociale à l’enfance, des mineurs non accompagnés, des bénéficiaires du RSA, de la situation des travailleurs sociaux. Les départements sont le principal acteur public de la solidarité : auront-ils les moyens de faire face ? Un exemple : la réforme de l’Assurance-chômage durcit les conditions d’accès aux droits. Il y aura dont des femmes et des hommes plus nombreux au RSA... On en connaît les conditions. Quant aux travailleurs sociaux, eux aussi et elles aussi connaissent la précarité et font partie de ces métiers insuffisamment reconnus. 

L’audition des associations de jeunesse et d’éducation populaire m’a confirmé l’inquiétude qu’il faut nourrir pour les jeunes qui ont été oubliés dans les mesures d’urgence du gouvernement. Cette situation remet sur la table la question d’une allocation d’autonomie pour la jeunesse. Proposition que nous devions porter avec Marie-George Buffet à l’occasion de notre niche parlementaire évaporée avec le confinement de la démocratie.

J’ai pu enfin avoir un échange riche avec l’acteur Robin Renucci et la comédienne Carole Thibaut tous deux à la direction d’un Centre dramatique national, ainsi qu’avec l’écrivain Gérard Mordillat et la chanteuse Agnès Bihl sur les enjeux de la culture et sur le monde d’après : https://www.facebook.com/Particommuniste/videos/248637966334762/. Il faut lutter contre l’écrémage qui peut se produire à la faveur de la crise, qui nous affaiblirait singulièrement, préserver le temps du processus artistique, le temps de la rencontre, le geste de création. Placés en face des ravages du capitalisme et des fragilités de l’humanité sur sa planète, nous étions d’accord pour dire qu’il faut que tant de choses changent. « Le pire, a dit l’un d’entre nous, serait qu’on s’adapte à cette crise. » Alors, monsieur le Premier ministre, avec toutes les précautions qui s’imposent,  nous voulons préparer un peu plus sérieusement la fête... 

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