Ce qu’on comprend, c’est que le Président est fier de nous. Qu’est-ce qu’on a été discipliné ! ça change des jours d’avant où il y avait quand même un peu trop de monde dans la rue. Ce qu’on comprend, c’est que le Président a découvert un peuple solidaire, des inégalités, des métiers méprisés...
Qu’est-ce qu’on a raison de ne pas être si disciplinés, quand on défend la justice ! Ce qu’on comprend, c’est que le Président veut rester le héros de son conte de fées et se transformer en beau papillon. Ce qu’on comprend, c’est que le 11 mai à minuit, on devrait passer à une autre étape. Il ne revenait pas au Président de la République de livrer tous les détails, mais il aurait au moins pu proposer une issue cohérente. Les réponses sont minces, les questions sont légion (puisque nous serions en première, deuxième, ou troisième ligne). Ce qu’on comprend, c’est qu’il y aura des mesures supplémentaires pour les familles populaires, que l’on pourra accompagner un proche en fin de vie, qu’on pourra télécharger une application numérique miraculeuse, et que la dette (que les pays défavorisés ne pourront pas rembourser) pourrait être annulée.
Et nous avons le sentiment que le discours sanitaire s’adapte subrepticement en fonction des moyens disponibles.
Mais ce qu’on ne comprend pas bien, c’est comment on sort de la cachette en toute sécurité, quelle est la stratégie d’ensemble. Ce qu’on ne comprend pas bien, c’est depuis quand « les commandes sont passées » (ça c’est pas rassurant), quand est-ce qu’elles vont arriver, en quelle quantité. Ce qu’on ne comprend pas bien, c’est ce qu’est un « masque grand public ». Ce qu’on ne comprend pas bien, c’est pourquoi on continue de ne tester que les personnes présentant des symptômes. Ce qu’on ne comprend pas bien, c’est pourquoi on ouvre les crèches, les écoles, les collèges et les lycées mais pas les universités. Ce qu’on ne comprend pas bien, c’est avec quelles garanties, dans quelles conditions, on retourne en classe. Ce qu’on ne comprend pas bien, c’est pourquoi on peut mettre plusieurs centaines d’enfants dans une cour, mais pas quinze personnes dans un restaurant ou deux cents adultes dans un théâtre. Ce qu’on ne comprend pas bien, c’est sur quelles bases on peut imaginer que le 11 mai on sera prêts. En réalité, on en sait tout juste un peu plus sur le calendrier du grand manitou. Alors il faut que les choses soient claires : nous ne devons sortir du confinement que lorsque nous serons prêts ; et nous devons nous donner les moyens d’être prêts dans les meilleurs délais. Or, pour l’instant, rien ne nous dit que ce sera le cas le 11 mai. Donc soit on nous donne les éléments concrets qui montrent que le rendez-vous peut être tenu, et on nous en donne les moyens, particulièrement les tests et les masques, soit on nous dit toute la vérité et on ne peut pas nous faire prendre à nouveau des risques inconsidérés. Et nous avons le sentiment que le discours sanitaire s’adapte subrepticement en fonction des moyens disponibles. Nous n’avons qu’une envie, c’est de sortir du confinement, mais pas à n’importe quel prix : nous voulons des garanties.
Le sujet qu’il a évité, c’est celui de la relance de l’activité globale. Que pense-t-il des désirs de coups de collier et de bouchées doubles du MEDEF et du gouvernement ? Ne pas le dire, alors que depuis plusieurs jours, on ne parlait que de ça, on a le sentiment que c’est une forme d’accord tacite, d’acquiescement silencieux. De ce même silence qui s’est fait autour de celles et ceux qu’on envoie au turbin aujourd’hui sans nécessité absolue. Un salarié de l’industrie me disait hier que dans son entreprise rien n’a changé, que nul n’est confiné alors qu’il aurait été possible de s’entendre sur les activités de maintenance et de production indispensables à la période. Jamais le gouvernement n’a engagé cette dynamique nécessaire d’inventaire, dans chaque branche et chaque entreprise, avec les premiers et les premières concernés, pour assurer la meilleure protection de toutes et tous. Alors comme ça, les choses vont redémarrer en loose-D, sans mot d’ordre sanitaire, sans qu’on sache comment on s’y prend pour que ce ne soit pas la guerre économique qui redémarre, pour que ce ne soit pas la compression sociale, pour que ce ne soit pas la dépression environnementale ? Il ne suffit pas de verser une larme sur les métiers mal reconnus et mal rémunérés, même si ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd ! La question est de savoir si celles et ceux qui travaillent seront protégés. La question est de savoir où nous allons, si la course recommence. La question est de savoir ce que nous aurons appris de cette dramatique épreuve.
En fait, nous ne voulions pas être cajolés, nous voulions être entendus, car toutes ces questions ont été posées. Et entendre le Président s’immiscer dans nos sentiments comme s’il nous caresser la main, je dois dire que ça me hérisse le poil. Parce que l’autre sujet habilement évité, c’est celui des responsabilités : ce désastre a été coproduit par le libéralisme et la voracité de la finance. Le virus a profité des « failles » élargies depuis 2017. Alors, on repassera pour la réinvention, les jours heureux et les tours de magie... Et au bout du compte, j’ai toujours l’impression de m’être fait cambrioler... Où sont les engagements concrets ? Demeure la colère. Et cette question : en fait, c’est quoi, le plan ? Le gouvernement a maintenant intérêt à mettre toutes les cartes sur la table. Et sans attendre.